Je peux témoigner de ce que j'ai vu au Congo Belge de
1955 à 1959, avant que mes parents me renvoient en
Belgique, prévoyant des grabuges avant l'indépendance.
Il serait bon de parler de cette époque aussi.
Je ne suis donc pas habilité à décrire la situation
auparavant, quand l'homme de Neandertal tentait de survivre dans
un monde hostile.
Je suis né en mars 1944, pas loin d'un pont détruit par la
guerre. A l'époque, l'allemand était l'ennemi absolu et pas
seulement du peuple Juif.
En 1955, après plusieurs examens passés à Bruxelles,
concernant la colonie, mon père a obtenu une place dans
l'administration coloniale. Un simple certificat de bonne vie et
mœurs n'était pas suffisant. On n'engageait pas des candidats pour
couper des mains, mais pour civiliser le Congo, et il fallait être
motivé.
En 1955, nous avons atterri à Léopoldville, dans un aéroport hyper-moderne.
Nous avons eu un choc culturel.
Cohabitaient paisiblement deux mondes: le blanc et le noir. Dans
le noirs, il y avait des primitifs et des évolués, des noirs
instruits ayant manifestement terminés leur école primaire
ou plus. Toujours très bien vêtus malgré la chaleur et
parlant un langage châtié du temps de Molière. La ville blanche
Léo était nettement plus moderne que Liège.
Nous logions au 4me étage d'un hôtel avec vue sur le port.
C'était étonnant de voir les ouvriers noirs travailler. Ils ne
foutaient strictement rien, à part papoter et jouer aux
cartes. Ils ne s'activaient que quand le contremaître blanc était
repéré par le guetteur. Il les engueulait copieusement en montrant
lui-même ce qu'il fallait faire. Peine perdue. On était bien loin
des coups de chicotte et du travail forcé.
Plus tard, nous avons compris ce que signifiait l'expression : "travailler comme un nègre". Pour les coloniaux cela signifie autre chose qu'en Belgique encore maintenant.
Mon père a été désigné pour être secrétaire de l'athénée de Stanleyville, poste qu'il a accepté faute d'autre choix; c'est comme cela qu'après deux semaines nous avons pris un vol de DC3 vers Stanleyville.
Autre choc culturel. Stanleyville, c'était la brousse. C'était nettement moins civilisé et moderne que Léo. "Vous croyez que nos noirs vivent primitivement? Allez voir en Inde et vous allez revenir avec un autre jugement".
Comme les autres élèves de ma classe, j'étais admiratif de cette capacité des noirs (le mot nègre n'était jamais utilisé) à vivre si près de la nature. En cas de catastrophe globale, comme la chute d'un météorite, nous étions bien conscients que nous ne pourrions pas survivre, contrairement à eux.
Le mode de vie à Stan a changé rapidement à partir de notre arrivée.
Un an plus tard on ne voyait plus de femmes en pagne de feuilles de bananier marcher les seins nus avec un panier sur la tête 10m. derrière leur mari, lui les mains dans les poches. Les pagnes sont devenus des étoffes élégantes.
Bien sûr, on n'en voyait plus s'accroupir dans la rigole et
déféquer. Je n'ai plus vu non plus des lépreux aux mains ou pieds
atrophiés. La lèpre pouvait être soignée.
Le barrage de la Tshopo est entré en activité. Stan a eu l'électricité et l'eau courante potable. La vie a changé, et l'on a vite vu des couples s’installer avec leur filles.
J'ai vu quel matériel était utilisé pour creuser et installer les conduites d'eau et d'électricité. Si les noirs de l'époque voyaient comment nous faisons, il riraient.
Je crois qu'en 1956 on a décidé de macadamiser les rues de Stan. Nous venions d'un village près de Liège (Slins) où l'armée l'avait fait en 1954. L'été, ma roue de vélo s'était engluée dans le goudron fondu.
Mais ce n'est pas avec du goudron bon marché que les routes en Afrique étaient construite, mais avec du tarmac pour pistes d'avions et beaucoup plus vite que sur nos autoroutes actuellement.
Nous aurions dû rentrer en Belgique après un terme de trois ans,
mais nous sommes rentrés pour les vacances de 1957. À partir
de '57, les employés de l'état ont pu rentrer tous les ans. Il
fallait rendre le Congo plus attractif, car il n'avait pas bonne
presse.
J'ai retrouvé une Belgique arriérée comparé à Stan. La Belgique
m'a semblé fort terne, et les gens préoccupés et tristes. Au
Congo, nos noirs rient, chantent et dansent. cela fait
plaisir à voir. La Belgique est une prison. On ne peut pas
nager ni promener ou l'on veut. Tout est interdit. Heureusement,
pour compenser, il y a des nuages, mais les Belges ne savent pas
les apprécier.
Oui, je dis bien NOS noirs en comparaison des autres malheureux africains abandonnés ou exploités comme au moyen-âge.
J'avais beaucoup d'anecdotes à raconter à mes amis et à ma Famille.Je me suis vite rendu compte qu'ils ne me croyaient pas. J'ai
donc cessé de parler du Congo d'alors.
Mais des rapports orientés uniquement à charge de Léopold, mort
et enterré depuis longtemps, doivent être rectifiés;
Je ne parlerai pas ici de tout, car je ne m'attends pas que vous croyiez ce qui suit. Pourtant c'est vrai.
Un peu plus d'un an avant le 30 juin 1060, la troupe scout dont je faisait partie est allée s'amuser à une vingtaine de kilomètres de la ville. Le dernier jeu était un jeu de cache-cache et je m'était bien caché. Je n'ai pas entendu le signal de fin de jeu et de départ. Quand je suis revenu au point de ralliement, les deux bus étaient partis et il me fallait rentrer à pied. Je suppose qu'il ont cru que j'étais dans l'autre bus. Rentré à la maison, je n'ai rien dit à ma parents, craignant qu'ils ne m'interdisent d'aller dans une troupe si mal dirigée.
Sur le chemin du retour, en fait une belle route en tarmac, des noirs à perte de vue marchaient dans la même direction, très vite, presque au pas de course. j'ai fait connaissance avec un noir qui m'a demandé si les Belges donneraient un jour l'indépendance aux congolais. Il ne croyait pas que ce serait de son vivant. Je lui ai dit que cela risquait d'arriver très vite: Bwana Kitoko l'avait promis (je ne lui ait pas dit BK n'avait rien à dire sans l'approbation du gouvernement).
- Le Congo n'est pas à nous. La Terre non plus. Quand vous verrez les femmes et le enfants prendre en masse l'avion, vous saurez que l’indépendance est dans quelque semaines.
- Mais les femmes peuvent rester. Ce sont les hommes qui doivent partir.
Nous avons bien ri.
Dans mon esprit, la transition ne pouvait pas se passer
paisiblement. Certains belges croyaient que des intellectuels
comme Kaza-Vubu étaient fiables, que les employés des
plantations défendraient les propriétaires, que la force
publique maintiendrait l'ordre, mais j’avais la conviction que
c'était impossible. Les belges n'étaient pas prêts à
défendre leur biens par les armes: c'était reconnaître l’échec de
la politique civilisatrice de la Belgique. Ils ne se sont donc pas
armés. Heureusement.
Après réflexion, à plus longue échéance, cela aurait évité
un million ce mort et à la vitesse où le Congo se développait en
60, il serait maintenant une puissance nucléaire internationale,
ce qu’il ne deviendra que dans quelques générations, quand un
dictateur éclairé en sera le dirigeant.
En 59, les espérances des noirs étaient tout à fait
irréalistes, autant que celles des blancs. L'ère de l'espace
avait commencé.
- Vous croyez que les arbres vont faire pousser des billets de banque le jour de l’indépendance?
Ils le croyaient et d'autres balivernes que je passe. Il aurait bien fallu le prendre quelque part, cet argent. Il aurait fallu en massacrer quelques milliers pour rétablir l'ordre, ce qui était tout à fait inacceptable pour les belges. Il était évident, en tous cas pour moi, qu'attendre ne ferait qu’aggraver la situation.
Il ne faut pas oublier qu'un grand nombre de noirs étaient sur le point de terminer leurs humanités supérieures. Le Congo n'était pas maintenu belge par la force des armes, mais par le prestige de l'homme blanc. Quand Adam se sent l'égal des dieux, ses malheurs commencent. L'indépendance n'allait pas mieux se passer qu'ailleurs.
Mais un an avant le 30 Juin fatidique, tout était encore calme, et beaucoup de belges avaient confiance dans les noirs qu'ils connaissaient.
Le moment venu, ces évolués se sont enfuis pour ne pas être massacrés par les Simbas. Il y a quand même eu plus de noirs que de blancs massacrés par les Simbas, mais on les a oubliés dans le décompte. Ils ne sont plus là pour témoigner.
J'ai entendu souvent qu'il fallait traiter les noirs amicalement
comme des enfants, mais certainement pas comme des esclaves. Et le
vieux boy (une profession indépendante de l'âge) restait employé
comme maître de maison.
L'époque des esclaves était révolue depuis longtemps. Avec les belges, les chefs de village ne pouvaient plus vendre leur ennemis vaincus aux négriers. Les guerres entre clans étaient proscrites;.
Ne faudrait-il pas que les italiens nous présentent leurs excuses pour nous avoir envahi en 53 avec une troupe ridicule de 6000 hommes. Et les français, les espagnols, les allemands, les néerlandais, les anglais.?
En 1959, il y avait au Congo (80 fois la Belgique) 88000 belges, dont 2100 militaires. César y serait allé avec 480000 hommes.
Car vous croyez qu'on va faire des excuses pour vos beaux yeux? C'est pour vous piller mieux.
Je n'ai jamais ressenti un sentiment anti-belge de la part d'un noir. Pourtant, j'ai quelquefois été gêné du respect qu'ils avaient. Je n'ai pas la science infuse parce que je suis blanc et je n'aime pas être pris pour un demi-dieu.
Comment, tu ne sais pas? Mais tu es blanc!
Il faut reconnaître que sans le prestige que le blanc avait
à l'époque, il aurait été impossible de gouverner le Congo, même
avec toutes les armes du monde. Les noirs avaient une idée très
idéalisée de la Belgique. Il ne fallait surtout pas montrer la
réalité de la situation de la population belge. II était mal vu
d'inviter son boy noir en Belgique ou à l'occasion d'une
exposition, d'organiser un voyage pour un groupe d’artistes
devant jouer le rôle de l'homme primitif devant sa hutte. Ils
reviendraient raconter ce qu'ils ont vu. Malheureusement, cela a
été fait en 1958.
Combien faut-il réclamer à la RDC pour avoir préservé les richesses culturelles qui auraient été irrémédiablement perdues si restées au Congo. L'exemple des animaux du parc Albert est révélateur. En restent-ils?
Un soir, en '59, à la tombée de la nuit, je suis parti à vélo de chez mes amis pour rentrer à la maison qui n’était pas très loin. La nuit tombe vite à l'équateur, et je me suis aperçu en arrivant dans ma rue, que mes feux ne fonctionnaient pas, je ne sais pourquoi. J'ai donc continué à rouler en me disant que si j’entendais une auto derrière moi, je me rangerais sur le trottoir pour la laisser passer. Arrivé pratiquement devant chez moi, je me fais interpeler par deux gendarmes noirs. Je leur demande ce qu'ils veulent. Il saisissent mon vélo et me dise qu'il est interdit de rouler sans phares. Diable, on se croirait en Belgique. Je crie de toutes mes forces; mes parents sortent de la maison, et le commissure de police qui habitait en face et encore en uniforme, sort et s'adresse brièvement en Swahili aux gendarmes qui lâchent le vélos et s'en vont.
-Oui dit-il. On leur a bien expliqué que la loi c'est la loi pour tout le monde, noir, blanc, jaune ou rouge. Je les ai félicité pour avoir bien suivit les directives, et que maintenant j'allais donner suite moi-même à l'infraction.
Combien se sont fait écraser alors qu'ils traversaient aux feux verts tous phares allumés? Combien sur le trottoir, descendus de vélo sans feux?
Le commissaire est rentré chez lui, et nous chez nous. C'est bien d'avoir des policiers qui comprennent l'esprit de la loi, cela évite d'encombrer les tribunaux.
La grande école pour noirs était située sur la rive gauche. Elle était très moderne vue de l'extérieur, mais je n'y suis jamais entré.
J'ai pourtant rencontré aux scouts, un élève blanc qui y suivait des cours.
- Pourquoi vas-tu là?
Notre athénée royal venait d'être inauguré, et était du dernier
cri.
Je m’attendais à ce qu'il me réponde que la traversée du fleuve
prenait une heure.
- Mon père est le directeur de l'école; Il ne cesse de répéter à tous les visiteurs, que les cours sont au même niveau et les professeurs qualifiés. Ce serait très mal perçu s'il m'envoyait ailleurs.
- Et alors, tu es certainement le premier de classe.
- Pas du tout. Je n'aime pas étudier, je préfère jouer.
Un inspecteur des écoles pour noirs venait souvent chez nous, nous raconter des anecdotes montrant comment les noirs étaient intelligents et désireux de s'instruire, ce que j'avais déjà constaté personnellement.
- Nous sommes devant un problème grave. On n'avait pas prévu qu'il y aurait tant de noirs désireux de poursuivre des études universitaires. Nos universités belges vont être débordées.
Nous avons été surpris de la vitesse à laquelle étaient construites les université à Léo et à Elisabethville. Stan a suivit plus tard.
Autre conséquence plus grave. Quand ces universitaires vont
revenir dans leur village, il vont dire au vieux chef :
- imbécile, tu n'y connais rien; bouge-toi de là que je m'y mette. Il va y avoir des morts.
Cela risque de prendre beaucoup de temps pour organiser des élections démocratique à la mode belge. Certains m'ont dit plus tard qu'un régime communiste aurait été plus adapté à leur traditions.
La politique des Belges n'était de former quelques élites favorable à notre pays, mais d'élever toute la population ensemble au même niveau en même temps. C'est un échec.
En 1960 le nouveau directeur noir de l'athénée a demandé à mon père, avec lequel il s'entendait bien, de rester après l'indépendance pour l'assister.
-OK. On verra après les vacances.
On a vu.
Une semaine après le 30 juin, l'athénée avait été saccagée, le
mobilier volé, même les tableaux verts et les pavés. Deux semaines
plus tard, la force publique se rebellait. La guerre glorieuse de
libération commençait, contre des blancs désarmés.
- Le Congo est à nous. Si je ne prends pas ça, mon voisin le
prendra. C'est la mentalité du chasseur-cueilleur. Les
belges qui avaient cru en Kasa-Vubu l'ont bien regretté :
après l'indépendance ce n'était pas comme avant. Les plus à
plaindre sont ces nombreux noirs pacifiques et désireux
de s'instruire. Mais il ne faut pas, pour détruire un
pays, 10% de sauvages drogués soutenus par les mensonges de son
dirigeant.
Le livre d'histoire commençait par "Nos ancêtres les Gaulois". Cela nous a fait bien rire quand nous avons appris que les noirs utilisaient le même matériel que les blancs. Il faut dire que pratiquement rien ne nous était enseigné sur l'histoire de la colonie. Au sujet de la propagande civilisatrice de la Belgique, rien. Nous pouvions d'ailleurs voir de nos yeux ce qui était fait. Pour l'éducation, les belges regrettaient que les écoles aient été trop longtemps gérées par des religieux catholiques ou protestants, et qu'il était grand temps d'harmoniser les programmes, pour s'assurer que les noirs qui viendraient poursuivre leurs études en Belgique ne soient pas culturellement désavantagés.
Le français était la langue officielle recommandée, suivie du néerlandais (!) et de l'anglais. Et les langues véhiculaires? Laquelle choisir parmi les centaines pour ne pas sembler privilégier une ethnie au détriment d'une autre?
J'aurais préféré avoir des notions de Swahili plutôt que de néerlandais (ABN à l'époque) mais mon père m'a dit qu'en Belgique, le Flamand me serait plus utile. Et il a eu raison. Le swahili était une langue fort artificielle, pleine d'emprunts arabes et le Lingala une espèce d'Espéranto africain fabriqué par les missionnaires pour leurs besoins d'évangélisation.
Durant les vacances d'été 1956, nous avons visité le parc Albert
et les volcans de Goma, comme le Nyaragongo considéré comme actif,
bien qu'ayant un dôme sur lequel on pouvais
marcher. C'était chaud, sonnait creux et nous ne sommes pas
attardés, surtout quand le guide noir disait qu'il pouvait
exploser le lendemain. Il l'a fait en 1977, 2002 et 2021.
Au retour, mon père s'est rappelé qu'il y avait dans la famille
un missionnaire parti au Congo, dans une mission qui était
pratiquement sur notre trajet. Nous y sommes donc allés n'étant
pas sûr que c'était bien là, ni s'il était encore vivant. Il
l'était, mais n'était pas présent; il travaillait. Nous avons été
invités à l'attendre et à partager le repas du soir.
- Quel travail faites-vous?
Il fabriquaient des briques comme source de revenus.
- Et votre travail d'évangélisation?
- Vous comprenez bien que les gens ici ont besoin d'autre chose que des prières. Plus tard, quand ils auront un niveau de vie acceptable, nous pourrons commencer. Maintenant nous avons d'autres priorités. Nous faisons notre rituel comme d’habitude et il arrive parfois, que quelqu'un nous demande ce qu'on fait. On essaye de lui expliquer, mais ce n'est pas facile. Mais les noirs ont aussi des croyances bizarres qui ne sont pas si loin des nôtres. De temps en temps, nous avons la visite d'un évêque qui vient contrôler nos activités. Nous organisons une messe avec chants et quelques festivités. Les noirs sont de très bon comédiens et il ne faut pas beaucoup répéter. L'évêque retourne en Belgique tout à fait enchanté!
Dixit père Gérard. Je n'ai pas demandé s'il croyait en Dieu. Dieu aie quand même pitié de son âme.
Vous rappelez-vous la publicité de la loterie coloniale en 1955 et après. On voyait des lépreux ayant perdu mains et pieds. On jouait au loto pour la bonne cause et ces malheureux profiteraient de nos dons. Ces mêmes photos ont été utilisées pour montrer la cruauté des Belges pour punir les opposants au pillage systématique des ressources du pays. Qui profite maintenant de ces ressources? Qui exploite-t-on pour les extraire. Cela nous est bien égal, mais c'est quand même la faute des Belges s'il en est ainsi.
Nous avons vraiment été nuls en propagande. Nous avons cru qu'il suffirait de laisser entrer n'importe qui pour visiter et de se rendre compte de ses propres yeux. Moi j'ai vu.
Il ne faut pas se voiler la face: nous naissons racistes, et ce pas parce que nous sommes Belge, ou blanc ou de couleur. Le racisme n'est pas une maladie; c'est un état normal.
Naturellement, quand on a passé sa jeunesse entouré de noirs, on ne perçoit plus la couleur de la même façon. Les noirs ne nous apparaissent pas tous les même, mais sont tous très différents.
J'étais il y a quelque temps en train de raconter une blague à une personne, quand à ma grande surprise, j'ai réalisé qu'elle était noire. Que faire? La blague concernait les noirs. J'ai continué malgré tout et le noir a ri à la chute. J'ai demandé à d'autres blancs dans le même cas que moi. Ils m'ont confirmés qu'ils avaient le même problème. Ils voyaient d'abord une personne avant de réaliser qu'elle était noire. Je n'ai malheureusement pas suffisamment de données pour généraliser.
Ma mère raconte : j'étais au marché. Il y avait une foule de noirs, mais il y en avait un qui était laid. Je l'ai bien dévisagé : il était vraiment horrible. J'ai réalisé pourquoi : c'était un blanc; un blanc dans une foule noire, c'est laid.
Que voyez-vous d'abord : un noir ou une personne? Êtes vous normal?
Ce n'est pas bien!
Certaines discussions sur le sujet des mulâtres n'étaient pas pour mes oreilles.
Comment et pourquoi ces enfants avaient été abandonnés, on peut l'imaginer. Imaginez la situation d'un père blanc, avec une femme restée en Belgique, qui a un enfant d'une noire. Encore faut-il qu'elle sache qu'il est père. Imaginez la situation de cette mère, célibataire ou pas, qui accouche dans un couvent et renie son enfant qui ferait honte à la famille. Et qui est le père et où est-il ? Pourquoi n'a-t-on pas dit à ces enfants que leur mère était une putain qui les a abandonné? Que leur a-t-on raconté ? Que feriez-vous?
Ces enfants du péché étaient recueillis par les sœurs
et éduqués par les missionnaires.
Qu'allaient-ils devenir après l’indépendance? Ils n'étaient pas
considérés comme des noirs par les noirs, et on pouvait craindre
pour leur vie. Il était préférable de les traiter comme des blancs
et les rapatrier en Belgique.
Il y avait deux mulâtres dans ma classe, et je peux confirmer
qu'ils étaient blancs, hormis la couleur. Ils étaient les fils
reconnus du juge Verxxxxxxen et de sa première femme décédée. J'espère qu'ils se portent bien.
Lumumba était connu à Stan pour ses menus larcins dans le bureau de poste. Il avait été puni trop sévèrement à mon goût, même si la vie de prisonnier n'avait rien de comparable avec les galères de Hugo. Comme travaux forcés, les prisonniers devaient, à la machette couper l'herbe dans les parcelles des blancs. Ils travaillaient évidemment comme des nègres, mais comme ils étaient une vingtaine, le résultat était acceptable. Ils étaient surveillés par un garde somnolant à l'ombre d'un arbre, armé d'un fusil à un coup datant de la guerre 14-18. Comment est-ce possible ? Vingt machettes contre un fusil! Ils devaient vraiment bien aimer leur gardien... ou la prison !
Mon oncle m'a raconté qu'il était allé écouter Lumumba faire sa
propagande électorale dans un hôtel d'Usumbura. Cela devait se
produire avant les événements d'octobre à Stan. Je n'étais plus là
à cette époque. Je crois que les frais de déplacement de Lumumba
et de sa délégation étaient payés par le gouvernement belge, qui
voulait organiser des élections libres. Il fallait que les
candidats puissent se faire connaître. Mon oncle, qui
comprenait la langue, a trouvé son discours non seulement
anti-colonial, mais franchement anti-belge et même criminel. Un
agent territorial observait également. Mon oncle l'a interpelé:
- Alors, vous le laisser dire?
- C'est son droit. il peut le dire, mais pas le faire.
Lumumba s'est quand même fait arrêter par la suite pour sa responsabilité de la mort de 60 personnes à Stan.
Il n'aurait jamais dû sortir de prison et serait resté en vie
plus longtemps dans les jardins.
C'est lui qui a causé la perte du Congo et le malheur des Congolais. Il est loin d'être le Mandela de l'indépendance, mais il a quand même sa statue à Bruxelles sur laquelle on peut aller pisser. Surtout ne la détruisez pas! Il n'y a plus d'urinoirs, ni de bancs, depuis que Léopold a fait faillite.
Mon père était organiste. Mais les orgues de la cathédrale de Stan n'étaient pas à son goût. On lui a recommandé les orgues de la cathédrale pour noirs de la rive gauche. Cette église était très moderne et les orgues aussi. C'est donc là que nous avons fêté Noël 1955.
Les quelques blancs de la rive gauche étaient installés au
balcon surplombant le cœur et on pouvait bien voir. L'église était
comble. À la communion, pendant que mon père jouait un interlude,
on entendait parfois un claquement, comme un bref applaudissement
assez fort. Qu'est-ce donc cela? En observant, je vois le
missionnaire remettre son hostie dans le calice, donner une bonne
gifle au noir en face de lui, et passer au suivant. Le noir frappé
prenait un air gêné, mais ne bougeait pas. L’affaire se
reproduisit quelque fois. je n'ai jamais vu ailleurs un blanc
frapper un noir. C'était bien sûr punissable, comme les traiter de
nègres, de bougnoules ou de macaques. Ces insultes étaient
réservées aux blancs.
Après la cérémonie nous avons demandé ce qui s'était passé.
- On les avait bien prévenus. S'ils venaient à la communion en ayant bu, ils recevraient une bonne claque, et rien d'autre.
Ainsi fut-il. Aucune plainte n'a été déposée, et il n'y a pas eu de suite.
À ma connaissance il n'y a pas eu de prisons pour blancs au Congo. N'y avait-il pas de crimes commis par des blancs?
Probablement que si. Mais on n'en faisait pas étalage. Les criminels étaient renvoyés en Belgique, jugés et punis là.
Je connais le cas d'un élève qui organisaient des larcins à la piscine de Stan. Quelques élèves ont été convoqués et il a disparu. Je l'ai revu des années plus tard en Belgique.
Les noirs ne fréquentaient pas les blancs - ni les Belges, les
Portugais, les Français ou les Indiens, sauf exception. Nous
restions entre nous.
La ségrégation était principalement basée sur le prix. Les noirs n'avaient pas les ressources pour fréquenter les magasins des blancs.
En 1955, les noirs au Congo, étaient mieux traités qu'aux États-Unis.
La situation en 1955 était bien différente de 1908. Si la Belgique doit des excuses, c'est pour avoir voulu démocratiser le Congo à marche forcée.
Ceux qui ont cru que Kasa-Vubu pourrait maintenir l'ordre se sont trompés.